Correction du sujet :Bac S 1999   Antilles - Guyane   (juin 1999)Enoncé
La mucoviscidose




Conseils généraux pour la rédaction d'un devoir :

Il est important de bien lire le sujet et de prendre connaissance des documents avant de commencer le travail. Un travail s'articule autant que possible autour d'un plan apparent, qu'il faut déterminer dans un premier temps. Le travail doit commencer par une introduction et finir par une conclusion, il ne faut pas oublier des transitions entre les parties. L'introduction doit au moins annoncer le plan utilisé. Il est préférable de savoir à l'avance ce que contiendra la conclusion, elle doit entre autres choses élargir le thème abordé ou les questions posées.

Les termes employés doivent être précis, il faut savoir parfois se garder d'utiliser un mot au sens voisin à la place du terme exact, quitte à multiplier les répétitions. Lorsque des documents sont fournis, on doit chercher à comprendre leur intérêt pour le traitement du sujet : il ne devrait pas à priori y avoir de document inutile.



Conseils spécifiques à ce devoir :

Le libellé du sujet apporte des informations utiles : la mucoviscidose est une maladie génétique, 20% de la population française est porteuse du gène muté (il aurait été préférable de parler d'allèle muté). On demande de formuler une hypothèse permettant d'expliquer la fréquence élevée de l'allèle muté dans la population.

Ce qu'apportent les documents :

Document 1 : L'arbre généalogique de la famille atteinte permet de comprendre le déterminisme génétique de la maladie (localisation du gène mis en cause et caractère récessif ou dominant).

Document 2 : Le schéma de la structure de la membrane cytoplasmique montre le canal formé par la protéine CFTR. Le texte explique que ce canal permet le passage d'ions chlorure (Cl-), et que la mutation DF 508 qui change l'un des acides aminés de cette protéine est la mutation qui cause la mucoviscidose.

Document 3 : Le résumé des résultats d'expériences in vitro suggère que les cellules porteuses de l'allèle muté du gène seraient moins sensible à la bactérie Salmonella typhi, qui est l'agent de la typhoïde. On doit formuler l'hypothèse que cette sensibilité moindre conférerait un avantage sélectif assez important pour justifier la fréquence élevée de l'allèle muté dans la population.

Document 4 : Les résultats de l'expérience in vivo confirme une sensibilité moindre des hétérozygotes à la bactérie pathogène. Il est important de voir que cet effet se manifeste aussi sur les hétérozygotes, car ce même effet très favorable sur les homozygotes pour l'allèle muté ne permettrait pas l'accroissement de la fréquence de l'allèle muté, les malades de la mucoviscidose ne laissant pas souvent de descendance.

Le plan à adopter est fortement suggéré par l'ordre des documents fournis : il faut caractériser la mutation dans un premier temps pour formuler et vérifier ensuite l'hypothèse demandée.
J'ai choisi de développer une longue conclusion dans la troisième partie du corrigé. La partie III-A n'était pas forcément attendue au niveau bac : on utilise dans cette partie la synthèse des informations retirées des documents pour proposer un modèle d'évolution des allèles dans les populations. Ce modèle permet de quantifier l'avantage conféré aux hétérozygotes par rapport aux homozygotes pour l'allèle normal du gène. La partie III-B est la conclusion à proprement parler et ouvre le sujet sur le cas des b thalassémies, qui ressemble fort à celui de la mucoviscidose.



Correction :


La mucoviscidose est une maladie génétique grave, elle tue le plus souvent les malades avant même l'âge de la reproduction, ceux-ci ne laissent donc qu'exceptionnellement des descendants. La théorie néodarwinienne de l'évolution prédit dans un tel cas que l'allèle mis en cause dans la maladie doit être éliminé des populations, et ne s'y maintenir qu'à une très faible fréquence à l'équilibre entre la sélection (qui tend à éliminer l'allèle mutant) et la mutation (qui tend à créer de nouveaux allèles mutants). Dans le cas de la mucoviscidose, on estime que 20% de la population française est porteuse de l'allèle muté ; cette fréquence très élevée est en désaccord avec les prédiction. Une étude de cette mutation à l'aide des documents fournis permet de comprendre cette apparente contradiction. Nous montrerons quelle est l'origine de cette maladie puis nous proposerons une cause probable de la forte fréquence de l'allèle muté dans la population française.




I - La mucoviscidose est causée par une mutation récessive du gène de la protéine CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator)

A - La mucoviscidose est une maladie héréditaire récessive

Le document 1 présente l'arbre généalogique d'une famille atteinte de mucoviscidose, son étude permet de déterminer l'emplacement de la mutation causant la maladie et son déterminisme génétique.
On peut définir trois types de localisation génétique pour un gène : il peut être porté par le chromosome mitochondrial (les mitochondries sont héritées par voie maternelle chez l'humain) ou être nucléaire (porté par les chromosomes du noyau). Dans cette seconde situation, le gène peut être porté par la partie spécifique d'un des chromosomes sexuels X ou Y (l'hérédité de la maladie sera alors liée au sexe des individus) ou par l'un des autosomes ou la partie autosomale des chromosomes sexuels (partie commune aux chromosomes sexuels X et Y). Le schéma suivant montre comment sont héritées ces différentes parties du génome selon les sexes.


En comparant l'arbre généalogique d'une famille atteinte de mucoviscidose et la transmission des constituants du génome, on peut proposer une localisation pour le gène mis en cause.

L'individu II-8 est une femme atteinte de la maladie donc le gène n'est pas situé sur la partie spécifique du chromosome Y (que les femmes ne possèdent pas).
Le couple I-(1,2) a une fille (II-8) atteinte de la maladie mais aucun des parents n'est malade, l'allèle muté est donc récessif par rapport à l'allèle sauvage. L'individu II-8 est donc homozygote pour l'allèle muté du gène et ses parents sont tous deux hétérozygotes.
Le père de l'individu II-8 (individu I-2) est hétérozygote pour l'allèle muté d'après le point précédent, donc le gène n'est pas porté par la partie spécifique du chromosome X (pour laquelle les mammifères mâles sont hémizygotes).
La mère de l'individu II-8 (individu I-1) n'est pas atteinte de la maladie, on peut donc exclure une localisation mitochondriale du gène de la mucoviscidose.
La seule localisation chromosomique du gène de la mucoviscidose en accord avec l'arbre généalogique présenté est une localisation autosomale ou sur la partie commune des chromosomes sexuels. La mucoviscidose est donc une maladie causée par un allèle récessif d'un gène autosomal (ou situé sur la partie commune des deux chromosomes sexuels).


B - La mucoviscidose est causée par une mutation d'une protéine canal à ion chlorure

Le document 2 affirme que la mucoviscidose est causée par l'allèle DF 508 du gène codant la protéine transmembranaire CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator). La protéine fonctionnelle est un canal à ions chlorures (Cl-), la mutation DF 508 entraîne son dysfonctionnement en empêchant la sortie dions Cl- des cellules. Cette sortie d'ions Cl- a pour effet normal d'entraîner la sortie d'eau. Chez les homozygotes pour l'allèle muté du gène, aucune protéine fonctionnelle n'est présente dans la membrane des cellules et par conséquent les mouvements d'eau vers l'extérieur des cellules sont réduits. L'une des conséquences est l'épaississement du mucus sécrété au niveau des poumons et du tube digestif des individus (cet épaississement est la cause de la gène respiratoire des malades atteints de mucoviscidose). Chez les hétérozygotes en revanche, le phénotype ne se distingue pas du phénotype normal des individus homozygotes pour l'allèle normal du gène. Le nombre de protéines transmembranaires CFTR fonctionnelles présentes est donc suffisant pour obtenir la fluidité du mucus nécessaire à la respiration.

La mutation DF 508 du gène CFTR est donc à l'origine de la mucoviscidose chez les individus homozygotes pour cette mutation. Le gène CFTR est porté par un autosome ou la partie commune des chromosomes sexuels. La forte fréquence de cette mutation suggère qu'elle pourrait avoir été sélectionnée, c'est à dire qu'elle pourrait conférer à ses porteurs un avantage sélectif. Une hypothèse alternative est que la fréquence actuelle de la mutation est due à des effets purement démographiques : les fréquences allèliques dans les populations varient sous le double effet de la sélection et du hasard dans l'échantillonnage des gamètes formant la génération suivante. Cet effet du hasard, appelé dérive génétique, est proportionnellement plus important dans les populations de faible effectif que dans les populations d'effectif important. On peut donc imaginer que la population française aurait connu récemment (à l'échelle des temps évolutifs) une période de faible démographie (appelée goulot d'étranglement) au cours de laquelle l'allèle muté du gène de la mucoviscidose aurait atteint une fréquence assez élevée. Les documents fournis, s'ils ne permettent pas d'infirmer cette hypothèse alternative sont cependant en faveur de l'hypothèse sélective.




II - La mutation DF 508 du gène de la CFTR confère à ses porteurs hétérozygotes pour l'allèle muté une protection partielle contre la typhoïde

A - Etude in vitro de la pénétration de Salmonella typhi dans des cellules intestinales

Le document 3 présente un résumé d'une série d'expériences sur la pénétration de la bactérie Salmonella typhi dans des cellules intestinales en culture. Les expériences menées ont permis de montrer que cette bactérie responsable de la typhoïde pénètre plus difficilement dans les cellules présentant la protéine CFTR mutée. Cette pénétration de Salmonella typhi est nécessaire pour déclencher la typhoïde, les individus porteurs de l'allèle muté du gène de la protéine CFTR seraient donc naturellement mieux protégés contre cette maladie. La typhoïde est généralement mortelle en l'absence de traitement antibiotique, la protection contre cette maladie pourrait donc être une pression de sélection forte en faveur de l'allèle muté. Cette pression de sélection serait d'autant plus forte que la typhoïde est commune (c'est à dire que la probabilité pour un individu d'être confronté dans sa vie à la bactérie Salmonella typhi est élevée). On sait cependant que la mucoviscidose dont souffrent les individus homozygotes pour l'allèle muté ne leur permet pas de transmettre leurs gènes en se reproduisant, l'effet protecteur contre la typhoïde ne peut donc pas compenser l'effet délétère de la mucoviscidose. S'il existe un effet favorable de l'allèle muté, alors celui-ci doit donc intervenir au niveau des individus hétérozygotes. Les expériences in vivo présentées dans le document 4 permettent de vérifier cette supposition et de quantifier cet effet protecteur.


B - Etude in vivo de la pénétration de Salmonella typhi dans les cellules intestinales

Le document 4 montre le résultat d'une expérience d'inoculation de Salmonella typhi réalisée sur des souris transgéniques : ces souris portent le gène humain de la protéine CFTR. Les souris du lot 2 sont homozygotes pour l'allèle sauvage du gène humain ; après l'absorption de bactéries de nombreuses cellules de leur épithélium intestinal sont infectées. Les souris du lot 1 sont homozygotes pour l'allèle muté du gène humain ; après l'absorption de bactéries, aucune cellule de leur épithélium intestinal n'est infectée. La comparaison des souris des lots 1 et 2 permet de confirmer l'hypothèse selon laquelle l'allèle muté confère une protection contre la typhoïde. Les souris du lot 3, qui sont hétérozygotes pour le gène humain présentent un taux d'infection par la bactérie inférieur de 86% aux souris du lot 2. Les individus hétérozygotes portant une copie de l'allèle muté du gène humain CFTR sont donc partiellement protégés contre la typhoïde, ils sont donc avantagés par rapport aux hétérozygotes des deux types. Un modèle simple d'évolution des fréquences allèliques permet de quantifier l'avantage des hétérozygotes, connaissant la fréquence à l'équilibre des deux allèles.





III - Quantification de l'avantage sélectif des hétérozygotes et conclusions

A - Le modèle utilisé

Dans une population "idéale" où les générations sont discontinues et où les couples sont formés au hasard, on modélise l'évolution des fréquences des allèles du gène de la mucoviscidose. On notera CFTR l'allèle sauvage dominant du gène de la mucoviscidose et ctfr l'allèle muté récessif de ce gène. La fréquence de l'allèle CFTR est notée p, celle de l'allèle cftr est   q = 1 - p . Dans la population, les fréquences des trois génotypes possibles dépendent de p et q (Ces fréquences génotypiques sont connues sous le nom de "loi de Hardy et Weinberg").
On appelle "valeur sélective" d'un génotype l'espérance du nombre de descendants d'un individu ayant ce génotype (nombre moyen de génomes diploïdes transmis à la génération suivante). La valeur sélective du génotype CFTR/CFTR est fixée arbitrairement à 1, celle du génotype cftr/cftr est supposée nulle puisque les individus ayant ce génotype malades et ne se reproduisent pas. Les individus de génotype CFTR/cftr ont une valeur sélective de , supérieure à celle des homozygotes CFTR/CFTR car ils sont partiellement protégés contre la typhoïde. On cherche à quantifier l'avantage x des hétérozygotes.

Le tableau suivant résume les hypothèses du modèle proposé :

Génotype
CFTR / CFTR
CFTR / cftr
cftr / cftr
Fréquence des génotypes
p² = 0,8
2.p.q
Valeur sélective
1
1 + x
0


On sait que 20% de la population est porteuse de l'allèle CFTR-, c'est à dire que 80% de la population est homozygote pour l'allèle sauvage CFTR+. On a donc :


Seuls les hétérozygotes contribuent à la transmission de l'allèle muté du gène. Si la fréquence de l'allèle cftr à la génération t est qt , alors la fréquence de cet allèle à la génération suivante est


Si on admet que la fréquence p est constante dans le temps, on peut déterminer la valeur de x en résolvant cette équation. On obtient alors x = q/(p-q) . Pour p=0,9 et q=0,1 on obtient x = 0,125 , l'avantage conféré aux hétérozygotes peut donc être estimé à 12.5%.


B - Conclusions et perspectives

La mucoviscidose est une maladie génétique causée par la mutation DF 508 du gène de la protéine CFTR, ce gène est porté par un autosome ou la partie commune des chromosomes sexuels, l'allèle muté est récessif. Si la mutation cause la mucoviscidose chez ses porteurs homozygotes, elle induit une protection contre la typhoïde chez ses porteurs hétérozygotes. Les documents ne permettent pas de déterminer la cause biologique de cette protection ; on peut par exemple émettre l'hypothèse que la protéine CFTR normale servirait de récepteur qui serait reconnu par la bactérie Salmonella typhi avant sa pénétration dans les cellules. L'avantage des hétérozygotes par rapport aux homozygotes pour l'allèle sauvage du gène permet de maintenir l'allèle muté à une fréquence d'équilibre de 10% dans la population où 20% des individus sont donc porteurs de cet allèle. Un tel cas où les hétérozygotes sont avantagés par rapport aux deux types d'homozygotes est qualifié de superdominance.
Le cas de la mucoviscidose n'est pas isolé : les b thalassémies sont des anomalies génétiques de la chaîne b de l'hémoglobine humaine, ces anomalies sont fréquentes autour du bassin méditerranéen et ont un effet grave sur les individus homozygotes pour l'allèle muté. Des études ont montré que les allèles mutés mis en cause confèrent à leurs porteurs hétérozygotes une sensibilité moindre au paludisme qui explique les fortes fréquences de ces mutations dans la population.
Dans le cas de la mucoviscidose, on a pu estimer à 12.5% l'effet favorable de l'allèle muté sur les génotypes hétérozygotes, cette valeur et très élevée et donne une idée de la pression de sélection créée par la typhoïde. Actuellement, cette pression de sélection n'est plus si élevée, car il existe depuis une cinquantaine d'années un traitement antibiotique de cette maladie. Dans ces conditions, la théorie néodarwinienne de l'évolution prédit une diminution de la fréquence de l'allèle muté. Le traitement de la typhoïde devrait donc avoir pour conséquence à long terme d'abaisser le nombre de cas de mucoviscidose dans la population. En l'absence de connaissances sur l'allèle muté de la mucoviscidose, ces conséquences étaient inattendues.



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